Поль Верлен — Paul Verlaine

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Paul Verlaine « Les Poètes maudits »

Pauvre Lelian

Ce Maudit-ci aura bien eu la destinée la plus mélancolique, car ce mot doux peut, en somme, caractériser les malheurs de son existence, à cause de la candeur de caractère et de la mollesse, irrémédiable ? de cœur qui lui ont fait dire à lui même de lui-même, dans son livre Sapientia,

Et puis, surtout, ne va pas l’oublier toi-même,
Traînassant ta faiblesse et ta simplicité
Partout où l’on bataille et partout où l’on aime,
D’une façon si triste et folle en vérité !
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A-t-on assez puni cette lourde innocence ?

Et dans son volume Charité, qui vient de paraître :

J’ai la fureur d’aimer, mon cœur si faible est fou.
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Je ne puis plus compter les chutes de mon cœur.

et qui furent les éléments uniques, entendez-le bien, de cet orage, sa vie !

Son enfance avait été heureuse.

Des parents exceptionnels, un père exquis, une mère charmante, morts, hélas ! le gâtaient en fils unique qu’il était. On l’avait mis toutefois en pension de bonne heure et là commença la déroute. Nous le voyons encore dans sa longue blouse noire, avec sa tête tondue, des doigts dans la bouche, accoudé à la barrière de séparation de deux cours de récréation, qui pleurait presque au milieu des autres gamins, déjà endurcis, jouant ! Même le soir, il se sauva et fut reconduit le lendemain, à force de gâteaux et de promesses, dans le « bahut » où, depuis, à son tour, il se « déprava » devint un vilain galopin pas trop méchant avec de la rêvasserie dans la tête. Ses études étaient indifférentes, et ce fut tant bien que mal qu’il passa son baccalauréat après de vagues succès, en dépit de sa paresse qui n’était, répétons-le, que de la rêvasserie déjà. La postérité saura, si elle s’occupe de lui, que le lycée Bonaparte, depuis Condorcet, puis Fontanes, puis re-Condorcet, fut l’établissement où s’usa le fond de ses culottes de garçonnet et d’adolescent. Une inscription ou deux à l’École de droit et passablement de bocks bus dans les caboulots de ce temps-là, ébauches de brasseries à femmes actuelles, complétèrent ces médiocres humanités. C’est de ce moment qu’il se mit aux vers. Déjà, depuis ses quatorze ans, il avait rimé à mort, faisant des choses vraiment drôles dans le genre obscéno-macabre. Il brûla bien vite, oublia plus vite encore ces essais informes mais amusants et publia Mauvaise Étoile, peu après que plusieurs pièces de lui eussent pris place dans le premier Parnasse à Lemerre. Ce recueil, — c’est de Mauvaise Étoile que nous entendons parler, — eut parmi la presse un joli succès d’hostilité. Mais que faisait au goût de Pauvre Lelian pour la poésie, goût réel, sinon talent encore hors de page ? Et, un an écoulé, il imprimait Pour Cythère, où un progrès très sérieux fut avoué par la critique. Le petit bouquin fit même quelque bruit dans le monde des poètes. Un an après encore, nouvelle plaquette, Corbeilles de noces, proclamant la grâce et la gentillesse d’une fiancée… Et c’est d’alors que put dater « sa plaie ».

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Au sortir de cette mortelle période parut Sapientia, plus haut nommée et citée. Quatre ans auparavant, en plein ouragan, ç’avait été le tour de Flûte et Cor, un volume dont on a parlé, depuis, beaucoup, car il contenait plusieurs parties assez nouvelles. La conversion de Pauvre Lelian au catholicisme, Sapientia qui en procédait, et l’apparition ultérieure d’un recueil un peu mélangé, Avant-hier et hier, où passablement de notes des moins austères alternaient avec des poèmes presque trop mystiques, firent, dans le petit monde des vraies Lettres, éclater une polémique courtoise, mais vive. Un poète n’était-il pas libre de tout faire pourvu que tout fût bel et bien fait, ou devait-il se cantonner dans un genre, sous prétexte d’unité ? Interrogé par plusieurs de ses amis sur ce sujet, notre auteur, quelle que soit son horreur native pour ces sortes de consultations, répondit par une assez longue digression, que nos lecteurs liront peut-être non sans intérêt pour sa naïveté.

Voici cette pièce :

« Il est certain que le poète doit, comme tout artiste, après l’intensité, condition héroïque indispensable, chercher l’unité. L’unité de ton (qui n’est pas la monotonie) un style reconnaissable à tel endroit de son œuvre pris indifféremment, des habitudes, des attitudes ; l’unité de pensée aussi et c’est ici qu’un débat pourrait s’engager. Au lieu d’abstractions, nous allons tout simplement prendre notre poète comme champ de dispute. Son œuvre se tranche, à partir de 1880, en deux portions bien distinctes et le prospectus de ses livres futurs indique qu’il y a chez lui parti pris de continuer ce système et de publier, sinon simultanément (d’ailleurs ceci ne dépend que de convenances éventuelles et sort de la discussion), du moins parallèlement, des ouvrages d’une absolue différence d’idées, — pour bien préciser, des livres où le catholicisme déploie sa logique et ses illécebrances, ses blandices et ses terreurs, et d’autres purement mondains : sensuels avec une affligeante belle humeur et pleins de l’orgueil de la vie. Que devient dans tout ceci, dira-t-on, l’unité de pensée préconisée ?

» Mais elle y est ? Elle y est au titre humain, au titre catholique, ce qui est la même chose à nos yeux. Je crois, et je pèche par pensée comme par action ; je crois, et je me repens par pensée en attendant mieux. Ou bien encore, je crois, et je suis bon chrétien en ce moment ; je crois, et je suis mauvais chrétien l’instant d’après. Le souvenir, l’espoir, l’invocation d’un péché me délectent avec ou sans remords, quelquefois sous la forme même et muni de toutes les conséquences du Péché, plus souvent, tant la chair et le sang sont forts, — naturels et animals, tels les souvenirs, espoirs et invocations du beau premier libre-penseur. Cette délectation, moi, vous, lui, écrivains, il nous plaît de la coucher sur le papier et de la publier plus ou moins bien ou mal exprimée ; nous la consignons enfin dans la forme littéraire, oubliant toutes idées religieuses ou n’en perdant pas une de vue. De bonne foi nous condamnera-t-on comme poète ? Cent fois non. Que la conscience du catholique raisonne autrement ou non, ceci ne nous regarde pas.

» Maintenant, les vers catholiques de Pauvre Lelian couvrent-ils littérairement ses autres vers ? Cent fois oui. Le ton est le même dans les deux cas, grave et simple ici, là fioriture, languide, énerve, rieur et tout ; mais le même ton partout, comme l’Homme mystique et sensuel reste l’homme intellectuel toujours dans les manifestations diverses d’une même pensée qui a ses hauts et ses bas. Et Pauvre Lelian se trouve très libre de faire nettement des volumes de seule oraison en même temps que des volumes de seule impression, de même que le contraire lui serait des plus permis. »

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Depuis, Pauvre Lelian a produit un petit livre de critique, — ô de critique ! d’exaltation plutôt, — à propos de quelques poètes méconnus. Ce libelle se nommait les Incompris, on n’y lisait pas encore, entre autres choses, d’un nommé Arthur Rimbaud, ceci, dont Lelian aimait à symboliser certaines phases de sa propre destinée :

LE CŒUR VOLÉ

Mon pauvre cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal.
Ils lui lancent des jets de soupe.
Mon pauvre cœur bave à la poupe.
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon pauvre cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal.

Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques.
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé !
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.


TÊTE DE FAUNE

Dans la feuillée, écrin vert taché d’or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie,
D’énormes fleurs où l’acre baiser dort,
Vif et devant l’exquise broderie,


Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu’un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires par les branches ;

Et quand il a fui, tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille
Et l’on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d’or du bois qui se recueille.

Il prépare, à travers des ennuis de toute nature, plusieurs volumes. Charité a paru en mars dernier. À côté va paraître. Le premier, suite à Sapientia, volume d’un âpre et doux catholicisme, l’autre, un recueil en vers des sensations des plus sincères mais bien osées.

Enfin, il a vu l’impression de deux œuvres en prose, les Commentaires de Socrate, autobiographie un peu généralisée, et Clovis Labscure, titre principal de plusieurs nouvelles pour être l’une et l’autre continuées si le veut Dieu.

Il a bien d’autres projets. Seulement il est malade découragé un peu, et vous demande la permission de s’aller mettre au lit.

— Ah ! depuis, bien remis, il écrit et va ou veut, ce qui est la même chose, vivre Bealtitudo.