Поль Верлен — Paul Verlaine

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Paul Verlaine « Bonheur »

L’amour de la Patrie est le premier amour

L’amour de la Patrie est le premier amour
Et le dernier amour après l’amour de Dieu,
C’est un feu qui s’allume alors que luit le jour
Où notre regard luit comme un céleste feu,

C’est le jour baptismal aux paupières divines
De l’enfant, la rumeur de l’aurore aux oreilles
Frais-écloses, c’est l’air emplissant les poitrines
En fleur, l’air printanier rempli d’odeurs vermeilles !

L’enfant grandit, il sent la terre sous ses pas
Qui le porte, le berce, et, bonne, le nourrit.
Et douce, désaltère encore ses repas
D’une liqueur, délice et gloire de l’esprit.

Puis l’enfant se fait homme ou devient jeune fille,
Et cependant que croît sa chair pleine de grâce,
Son âme se répand par-delà la famille
Et cherche une âme sœur, une chair qu’il enlace ;

Et quand il a trouvé cette âme et cette chair,
Il naît d’autres enfants encore, fleurs de fleurs
Qui germeront aussi le jardin jeune et cher
Des générations d’ici, non pas d’ailleurs.

L’homme et la femme ayant l’un et l’autre leur tâche,
S’en vont chacun un peu de son côté. La femme
Gardienne du foyer tout le jour sans relâche,
La nuit garde l’honneur comme une chaste flamme ;

L’homme vaque aux durs soins du dehors : les travaux,
La parole à porter, — sûr de ce qu’elle vaut, —
Sévère et probe et douce, et rude aux discours faux,
Et la nuit le ramène entre les bras qu’il faut.

Tous deux, si pacifique est leur course terrestre.
Mourront bénis de fils et vieux dans la patrie ;
Mais que le noir démon, la Guerre, essore l’œstre,
Que l’air natal s’empourpre aux reflets de tuerie,

Que l’étranger mette son pied sur le vieux sol
Nourricier, — imitant les peuples de tous bords,
Saragosse, Moscou, le Russe, l’Espagnol,
La France de Quatre-vingt-treize, l’homme alors,

Magnifié soudain, à son œuvre se hausse
Et tragique et classique et très fort et très calme.
Lutte pour sa maison ou combat pour sa fosse,
Meurt en pensant aux siens ou leur conquiert la palme.

S’il survit, il reprend le train de tous les jours,
Élève ses enfants dans la crainte du dieu
Des ancêtres et va refleurir ses amours
Aux flancs de l’épousée éprise du fier jeu.

L’âge mûr est celui des sévères pensées,
Des espoirs soucieux, des amitiés jalouses,
C’est l’heure aussi des justes haines amassées,
Et quand sur la place publique, habits et blouses,

Les citoyens discords dans d’honnêtes combats
(Et combien douloureux à leur fraternité !)
S’arrachent les devoirs et les droits, ô non pas
Pour le lucre, mais pour une stricte équité,

II prend parti, pleurant de tuer, mais terrible
Et tuant sans merci, comme en d’autres batailles,
Le sang autour de lui giclant comme d’un crible,
Une atroce fureur, pourtant sainte, aux entrailles.

Tué, son nom, célèbre ou non, reste honoré.
Proscrit ou non, il meurt heureux, dans tous les cas,
D’avoir voué sa vie et tout au Lieu Sacré
Qui le fit homme et tout, de joyeux petit gas.

Sa veuve et ses petits garderont sa mémoire,
La terre sera douce à cet enfant fidèle
Où le vent pur de la Patrie, en plis de gloire,
Frissonnera comme un drapeau tout fleurant d’elle.

Mais quoi donc, le poète, à moins d’être chrétien
(Le chrétien se fait tel que Jésus dit qu’il soit),
Comment en ces temps-ci et très fier peut-il bien
Aimer la France ainsi qu’il doit comme il la voit,

Dépravée, insensée, une fille, une folle
Déchirant de ses mains la pudeur des aïeules
Et l’honneur ataval et, l’antique parole,
La parlant en argot pour des sottises seules,

L’amour, l’évaporant en homicides vils
D’où quelque pâle enfant, rare fantôme, sort,
Son Dieu, le reniant pour quels crimes civils !
Prête à mourir d’ailleurs de quelle lâche mort !

Lui-même que Dieu voit être un pur patriote
L’affamant aujourd’hui, le prescrivant naguère,
Pour n’avoir pas voulu boire comme un îlote
Le gros vin du scandale au verre du vulgaire,

Le dénonçant aux sots pires que les méchants,
Bourreaux mesquins, non moins d’ailleurs que tels méchants
Pire que tous, à cause, ô honte ! que ses chants
Faisaient honte à plusieurs à cause de leurs chants,

Enfin, méconnaissant et l’heure et le génie
Jusqu’à ce péché noir entre tous ceux de l’homme
Jusqu’à ce plongeon dans toute l’ignominie
D’insulter l’ange comme en l’unique Sodome !

Mais le poète est un chrétien qui dit : « Non pas ! »
À ces comme velléités d’être tenté
Vers les déclamations par la Pauvreté,
Et d’elles dans l’horreur du premier mauvais pas.

« Non pas ! » puis s’adressant à la Vierge Marie :
« Ô vous, reine de France et de toute la terre,
Vous qui fidèlement gardez notre patrie
Depuis les premiers temps jusqu’à cette heure austère

Où chacun a besoin du courage de dix
S’il veut garder sa foi par ses pertes de fois
La pratiquer tout simplement, ainsi jadis,
Puis y mourir tout simplement, comme autrefois !

Depuis les Notre-Dame au-dessus des ancêtres
Profilant leur prière immense et solennelle
Jusqu’aux mois de Marie, échos des soirs champêtres,
Sourire de l’Église aux cœurs vierges en elle,

Depuis que notre culte intronisait nos rois,
Depuis que notre sang teignait votre pennon
Jusqu’au jour où quel Dogme à travers tant d’effrois
Ajoutait quel honneur encore à votre nom,

Vous qui, multipliant miracles et promesses,
De la Sainte-Chandelle à la Salette et Lourdes,
Daignez faire chez nous éclore des prouesses
Même en ces temps d’horreur d’État louches et sourdes.

Mère, sauvez la France, intercédez pour nous,
Donnez-nous la foi vive et surtout l’humble foi,
Que l’âme de tous nos aïeux brûle en nous tous
Pour la vie et la mort, au foyer, dans la loi,

Dans le lit conjugal, sur la couche dernière,
Simple et forte et sincère et bellement naïve,
Pour qu’en les chocs prévus, virils à sa manière,
Qui fut la bonne quand elle dut être active,

Si Dieu nous veut vaincus, du moins nous le soyons
En exemple, lavant hier par aujourd’hui
Et faits, après l’horreur, l’honneur des nations,
Et s’il nous veut vainqueurs nous le soyons pour lui. »