Поль Верлен — Paul Verlaine

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Paul Verlaine « Élégies »

Vrai, là, mais quel bourreau

MOI
Vrai, là, mais quel bourreau d’argent tu fais, petite !

TOI
Tiens, tiens !

MOI
Il n’est banquier solide, il n’est pépite
Sérieuse qui pût te résister…

TOI
Vraiment !

MOI
Je suis pauvre, tu sais, tu sais aussi comment,
De quelle ardeur je trime et fais, vaille que vaille,
Puisqu’on n’est pas rentier et qu’il sied qu’on travaille,
Des besognes pour tel journal Ali-Baba
Dont la Sésame par instants me fault.

TOI
Ah bah ?

MOI
Enfin, modère-toi, chère, dans les dépenses.
La galette n’est pas ce que, vaine, tu penses :
Elle a des hauts et des bas et surtout des bas ;
Que de braves reculs, que de lâches combats
Vis-à-vis de maints éditeurs, gent redoutable,
Juste pour la couchette et juste pour la table.
Parbleu, j’aime le luxe aussi. Je n’en dors pas
D’aimer le luxe des habits et des repas
Et des lampas et des lambris et tout le diable !
Et même cette dèche implacable, effroyable
Où se débattent mes courages presque en vain,
Courage de la soif, courage de la faim
Et du froid et du chaud, la faute à qui ? Peut-être,
— Autant qu’on peut juger de son propre Bicêtre,
Un tantinet à moi, sans compter les amis
De l’un et de l’autre sexe, — et quelques ennemis.
Mais surtout, mais surtout à mon amour du faste.
J’aimais qu’un bon dîner remplit ma panse vaste,
Qu’un bon lit, trop étroit, me dit d’être galant,
Serrer la main aux pauvres hommes de talent.
Enfin acheter des dessins et des gravures
Et, l’avouerai-je ? me payer des gravelures
Japonaises ou dix-huitième siècle, et, ce
M’a nécessairement conduit…

TOI
Arrêtez-le ?

MOI
M’a nécessairement conduit à la ruine.
Je n’ai plus rien…

TOI
Assez, bon sang ! quelle platine !

MOI
Tu railles ma garrulité peut-être à tort,
Chéri. J’admets que j’ai tendu fort le ressort,
Je sais que j’exagère et sans doute plaisante.
Certes ton luxe et ton amour de lui présente
De modestes aspects, j’admets un peu forcés.
(Dame, on ne peut avoir trop avec pas assez)
Mais enfin tu n’es pas très femme de ménage,
Je puis le dire sans ridicule à mon âge
Calmé, lent, réfléchi…

TOI
Réfléchi, c’est le mot.

MOI
J’abuse du vocable en effet, mais pas trop
De la chose, conviens. Je disais donc, chérie.
Que je t’adjure de tout mon cœur et te prie
D’à ton tour réfléchir sur les nécessités
Qui nous tiennent, hélas, de pas mal de côtés.
Voyons, modérons-nous dans la petite vie
Agréable, après tout, que plus d’un nous envie.
Soyons, s’il te plaît, toi, coquette, moi, bien mis,
Mangeons comme de droit, buvons comme permis,
Mais, sacrebleu ! surtout, n’allons pas perdre haleine
À tant courir…

TOI
N’en jetez plus, la cour est pleine.

MOI
À tant courir, disais-je, en somme, après la fin
De tout crédit, jusque chez… le marchand de vin !
Après, en un mot, comme en mille, la misère !
Voyons, de la raison un peu, c’est nécessaire,
Impérieux : pas drôle, ô non pas ! la raison,
Mais, dans l’espèce, indispensable à la maison !
Je veux…

TOI
Tu veux !

MOI
Nous voulons.

TOI
Qui donc est le maître
Ici ?

MOI
Toi.

TOI
Qui donc est raisonnable ici ?

MOI
Peut-être ?…

TOI
Pas de peut-être ! Moi. Qu’il en soit autrement,
Je m’en moque. Je suis le maître absolument
Et je n’ai plus besoin de mamours, ni d’astuces,
J’espère, pour être obéie, — et que tu dusses
En maugréer, fais-le, mais, encor, pas trop haut.
Or je veux de l’argent. Beaucoup ! Puis il m’en faut
Tout de suite ; donne à l’instant et puis turbine !
C’est ton petit devoir d’esclave et de machine :
Encore bien heureux de le faire pour moi.

MOI
D’accord. Combien veux-tu ?

TOI
Tout ce que tu as sur toi.
Chez toi, chez moi plutôt.

MOI
Prends.

TOI
Donne,

MOI
Voilà, chère.

TOI
Et maintenant faisez le beau, baisez mémère.